Café Littéraire

« La rentrée littéraire »

Animé par Marie-Aube Nimsgern

Les ouvrages qui ont été présentés, avec un court avis personnel en italique :

littérature française:

Éric Vuillard, L'ordre du jour, Actes Sud, prix Goncourt 2017
Ils étaient vingt-quatre, près des arbres morts de la rive, vingt-quatre pardessus noirs, marron ou cognac, vingt-quatre paires d'épaules rembourrées de laine, vingt-quatre costumes trois pièces, et le même nombre de pantalons à pinces avec un large ourlet. Les ombres pénétrèrent le grand vestibule du palais du président de l'Assemblée ; mais bientôt, il n'y aura plus d'Assemblée, il n'y aura plus de président, et, dans quelques années, il n'y aura même plus de Parlement, seulement un amas de décombres fumants.
Récit de la montée du nazisme en quelques instantanés qui saisissent tout le sens de l'Histoire, d'une écriture puissante. un Goncourt tout à fait mérité.

Pierre Ducrozet, L'invention des corps, Actes Sud, prix de Flore 2017
Dès les premières pages, L'invention des corps s'élance dans le sillage d'Alvaro, jeune prof mexicain, surdoué de l'informatique, en cavale après les tragiques événements d'Iguala, la nuit du 26 septembre 2014 où quarante-trois étudiants disparurent, enlevés et assassinés par la police. Rescapé du massacre, Alvaro file vers la frontière américaine, il n'est plus qu'élan, instinct de survie. Aussi indomptable que blessé, il se jette entre les griffes d'un magnat du Net, apprenti sorcier de la Silicon Valley, mécène et apôtre du transhumanisme.
Une écriture très moderne, rythmée, musicale; un auteur qu'on aime à la Carline et qu'on va recevoir en février.

Alice Zeniter, L'art de perdre, Flammarion, Goncourt des lycéens 2017
L'Algérie dont est originaire sa famille n'a longtemps été pour Naïma qu'une toile de fond sans grand intérêt. Pourtant, dans une société française traversée par les questions identitaires, tout semble vouloir la renvoyer à ses origines. Mais quel lien pourrait-elle avoir avec une histoire familiale qui jamais ne lui a été racontée ? Son grand-père Ali, un montagnard kabyle, est mort avant qu'elle ait pu lui demander pourquoi l'Histoire avait fait de lui un "harki".
Alice Zeniter représente la 3eme génération depuis la guerre d'Algérie; avec un grand talent elle explore ce que la guerre et ses suites ont fait aux familles. un beau texte qui concourt à soulever le voile de ces évènements et de leur conséquences sur la société aujourd'hui.

Olivier Chantraine, Un élément perturbateur, Gallimard, premier roman
Serge Horowitz est hostile à toute forme d'engagement. Sa sœur l'héberge chez elle. Il ne doit son travail dans un cabinet de consulting qu'à son frère, ministre des Finances. Pour ne rien arranger, il est hypocondriaque et connaît des moments d'aphasie incontrôlables. C'est une de ces crises qui le saisit alors qu'il est en pleine négociation avec une société japonaise. Quand lui revient la parole, il fait capoter l'affaire...
Une variation sur le thème de Bartleby qui est en même temps une critique pleine d'humour de notre société. avec un personnage secondaire, le frère ministre, qui ressemble furieusement à celui qui est devenu entre temps président de la République...

Thomas Vinau, Le camp des autres, Alma éditeur
Gaspard fuit dans la forêt. Il est accompagné d'un chien. Il a peur, il a froid, il a faim, il court, trébuche, se cache, il est blessé. Un homme le recueille. Une bande de saltimbanques surgit un beau matin, l'enfant s'enfuit avec eux.
Cette aventure s'inspire d'un fait historique. En 1907, Georges Clémenceau crée les Brigades du Tigre pour en finir avec " ces hordes de pillards, de voleurs et même d'assassins, qui sont la terreur de nos campagnes ".
Une écriture très poétique, avec de très courts chapitres, pour aborder le thème si actuel de l’accueil de l'autre, le réfugié, le migrant.

Amalia Frederica Finkelstein, Survivre, Gallimard-l'Arpenteur
Le soir du 13 novembre, j'ai compris que la guerre pouvait éclater en bas de chez moi - une forme inouïe de guerre. La peur et la méfiance sont devenues normales : je vis en attendant le prochain attentat. Le soir du 13 novembre, ma génération s'en est prise à elle-même : les assassins avaient le même âge que les assassinés. Survivre est un hommage à cette génération, née avec les écrans, ultraconnectée, et pourtant en proie à une immense solitude.
Une grande justesse dans ce récit par une très jeune auteure de ce que vit sa génération, entre peur des attentats et aspiration à la liberté.

Pierre Pelot, Debout dans le tonnerre, Héloïse d'Ormesson
1778, sur les bords du Mississippi. Au cœur des années troubles de la guerre d'indépendance des États-Unis, la rousse Emmeline retrouve le journal de sa grand-mère, née en Vieille France. Elle y découvre la terrible histoire de Magnolias, la plantation de cannes à sucre où elle a grandi. Fille farouche, au sang bouillonnant de son ancêtre, la chevrière lorraine, Emmeline se lance alors dans une quête de mémoire sur ses origines.
Ce livre est l'occasion de découvrir la langue flamboyante de cet auteur qui ne craint pas de se lancer dans l'épopée.
sans en être la suite, il est dans la continuité de L'ombre des voyageuses, que j'avais adoré aussi.

littérature étrangère:

Gouzel Iakhina, Zouleikha ouvre les yeux, éditions Noir sur blanc, traduit du russe
Nous sommes au Tatarstan, au cœur de la Russie, dans les années 1930. A quinze ans, Zouleikha a été mariée à un homme bien plus âgé qu'elle. Ils ont eu quatre filles, mais toutes sont mortes en bas âge. Pour son mari et sa belle-mère presque centenaire, très autoritaire, Zouleikha n'est bonne qu'à travailler. Un nouveau malheur arrive : pendant la dékoulakisation menée par Staline, Zouleikha est déportée en Sibérie, qu'elle atteindra après un voyage en train de plusieurs mois. En chemin, elle découvre qu'elle est enceinte.
Premier roman tatare, une ode à la liberté à travers un magnifique personnage féminin.

Lisa McInerney, Hérésies glorieuses, Joëlle Losfeld, traduit de l'anglais (Irlande)
Après quarante ans d'exil, Maureen retourne à Cork, en Irlande, pour retrouver son fils, Jimmy, qu'elle a été forcée d'abandonner. Elle tue un inconnu par accident et déclenche une série d'événements, qui, comme des dominos, vont secouer toute la ville et révéler différents personnages en marge de la société : Ryan, 15 ans, deale et donnerait tout pour ne pas ressembler à son père alcoolique ; sa petite-amie Karine, magnifique et issue d'une classe aisée, avec laquelle il vit un amour pur et passionné jusqu'à ce que la réalité les rattrape ; Tony, dont l'obsession qu'il voue à sa voisine menace de les détruire, lui et sa famille ; Georgie, une prostituée qui feint une conversion religieuse aux répercussions désastreuses.
Un livre puissant, noir, traversé de fugitifs éclats d'amour, sur la modernité irlandaise.

Nathan Hill, Les fantômes du vieux pays, Gallimard, traduit de l'anglais (USA)
Scandale aux États-Unis : un candidat à la présidentielle a été agressé en public. Son assaillante est une femme d'âge mûr. Son fils, prof de fac et écrivain raté qu'elle avait abandonné à l'âge de onze ans, se voit proposer d'écrire sur elle un livre de révélations qui va l'obliger à se rapprocher d'elle et à enquêter sur sa vie.
Un livre ambitieux sur l'histoire des USA, qui cherche à comprendre comment la génération de 68 a pu rater sa révolution et rendre le monde encore pire, jusqu'à en arriver à Trump !

Margaret Atwood, C'est le cœur qui lâche en dernier, Robert Laffont, traduit de l'anglais (Canada)
Stan et Charmaine ont été touchés de plein fouet par la crise économique qui consume les États-Unis et ils sont contraints de loger dans leur voiture... Aussi, lorsqu'ils découvrent à la télévision une publicité pour une ville qui leur promet un toit au-dessus de leurs têtes, ils signent sans réfléchir : ils n'ont plus rien à perdre.
A Consilience, chacun a un travail, avec la satisfaction d’œuvrer pour la communauté, et une maison. Un mois sur deux. Le reste du temps, les habitants le passent en prison... où ils sont également logés et nourris ! Le bonheur.
La reine du roman d'anticipation féministe, auteure de la Servante écarlate (désormais célèbre grâce à une adaptation en série télé), ma favorite pour le prix Nobel, rien que ça !
Ce titre est moins noir, plus grinçant, que la Servante écarlate, même s'il dénonce autant les dérives autoritaires qui menacent nos sociétés.

Edgar Hilsenrath, Les aventures de Ruben Jablonski, le Tripode, traduit de l'allemand
Arraché à l'insouciance et l'espièglerie de l'enfance par la terreur nazie, le jeune Ruben Jablonski se retrouve à la sortie de la Seconde Guerre mondiale dans une situation désespérée. Libéré d'un ghetto, séparé de sa famille et à la recherche d'un nouveau destin, il s'engage dans un périple épique qui le conduit de la Roumanie aux Etats-Unis, en passant par l'Ukraine, la Turquie, la Palestine et la France...
Les réminiscences enfantines, l'humanité qui survit à l'horreur et l'amour de la littérature pour unique boussole confèrent aux Aventures de Ruben Jablonski une force et un humour rares. Edgar Hilsenrath a écrit ce roman en 1997 – bien après les autres livres qui lui avaient déjà apporté une renommée internationale – et Il fait la bouleversante synthèse des quinze années qui ont vu sa vie basculer.
un auteur à découvrir de toute urgence, tant son style est original, entre humour burlesque et sens du tragique.

Colson Whitehead, Undergroung railroad, Albin Michel, traduit de l'anglais (USA)
Cora, seize ans, est esclave sur une plantation de coton dans la Géorgie d'avant la guerre de Sécession. Abandonnée par sa mère lorsqu'elle était enfant, elle survit tant bien que mal à la violence de sa condition. Lorsque Caesar, un esclave récemment arrivé de Virginie, lui propose de s'enfuir, elle accepte et tente, au péril de sa vie, de gagner avec lui les États libres du Nord, via l'" Underground Railroad ", le célèbre réseau clandestin d'aide aux esclaves en fuite.
À la fois récit d'un combat poignant et réflexion saisissante sur la lecture de l'Histoire, ce roman, couronné par le prix Pulitzer, est une œuvre politique aujourd'hui plus que jamais nécessaire.

Daniel Mendelsohn, Une odyssée (un père, un fils, une épopée), Flammarion, traduit de l'anglais (USA)
Lorsque Jay Mendelsohn, âgé de quatre-vingt-un ans, décide de suivre le séminaire que son fils Daniel Daniel consacre à l'Odyssée d'Homère, père et fils commencent un périple de grande ampleur. Ils s'affrontent dans la salle de classe, puis se découvrent pendant les dix jours d'une croisière thématique sur les traces d'Ulysse. A la fascinante exploration de l'Odyssée d'Homère fait écho le récit merveilleux de la redécouverte mutuelle d'un fils et d'un père.
À la fois cours sur l'Odyssée, réflexion sur les grands thèmes de l'épopée antique, récit très personnel de l’approfondissement de la relation père-fils, ce livre est d'une richesse rare.